Nous avons la joie de partager avec vous quelques souvenirs écrits et visuels du stage d’iconographie qui s’est déroulé en juin dans notre salle Béthanie.

Voici quelques photos, pour en voir d’autres nous vous invitons ici.

Et Isabelle Raviolo, une des participantes à l’atelier, vous emmènera à travers son texte à découvrir de plus près cette expérience de rencontre avec la beauté, la tradition et la prière qu’est la peinture des icônes.


L’icône, image de l’invisible

Une prière au service de l’Église, corps mystique du Christ

Mon cœur a frémi de paroles belles, je dis mon œuvre au Roi.
Ma langue est le roseau d’un scribe agile.
Tu es beau, le plus beau des enfants des hommes, la grâce est répandue sur tes lèvres.
Aussi tu es béni de Dieu à jamais.

(Psaume 44)

Au cœur de Paris, les Fraternités monastiques de Jérusalem rayonnent d’un charisme unique : à la croisée entre l’Orient et l’Occident, elles se relient aux deux sources d’une tradition ecclésiale éclairée par la beauté des images qui rythment la liturgie des heures. Depuis deux ans, les moines et moniales de Saint-Gervais proposent un atelier d’iconographie dirigé par Giancarlo Pellegrini, maitre-iconographe italien. Il s’adresse aux débutants comme aux confirmés, et s’enracine dans l’écoute, la prière, et l’esprit fraternel. Du 7 au 16 juin 2021, dix participants se sont réunis en salle Béthanie pour écrire l’icône de la Mère de Dieu, Vierge de Tendresse de Novgorod (l’Eléousa) du XVème siècle, et l’Apparition du Seigneur ressuscité à Marie de Magdala (pour les stagiaires avancés). Ce temps vécu pour Dieu, dans la docilité à l’Esprit Saint, s’est accordé aux rencontres, aux dialogues, aux partages, dans la paix du Christ, dans sa joie spacieuse. « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. » (Mt 18,20). Durant ce stage, nous nous sommes tous laissés porter par la grâce, nous avons reçu sa lumière nourricière. Par le soutien attentif et patient de Giancarlo, par la générosité de son enseignement, par son humilité et la discrétion de son regard aguerri par quarante années d’exercice, nous avons pu « écrire » ensemble, et singulièrement, cette tendresse offerte par la Vierge immaculée, boire à ce lait maternel qui fait grandit en charité. Par l’intercession de Marie, nos yeux se sont orientés vers Jésus, « le plus beau des enfants des hommes » (Psaume 44), « l’Image véritable du Père » (Col 1, 15), notre archétype. L’icône est l’image du Christ non fait de main d’homme (acheiropoiétos). Au plus secret d’une pupille sans couleur, dans l’abîme, le regard du Christ nous interpelle, nous questionne intérieurement, renversant nos idoles, déconstruisant nos préjugés, nos schémas de pensée : « Pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 13).

Si plus de mille ans se sont écoulés depuis la crise iconoclaste, son enjeu est encore aujourd’hui décisif. Pour un spectateur extérieur, l’iconoclasme pourrait apparaître comme la conjonction fortuite de différents conflits ou comme une réaction en chaîne de crises mûres pour éclater. Toutefois, vue de l’intérieur, cette affaire dévoile une crise d’une grande portée théologique et anthropologique. La question des images reste fondamentale : elle est étroitement liée à l’essence même du christianisme, à l’incarnation, aux mystères de Noël et de Pâques.

L’iconographie est un art sacré, une louange au mystère de l’Incarnation de Dieu. Et à ce titre, elle implique un grand silence intérieur, un dépouillement de toutes nos images mentales : se recueillir pour faire place, pour laisser toute la place à la lumière divine, à la beauté des visages de Marie et de Jésus, à leur présence incréée, dans le grand mystère de l’inhabitation. Entrer dans cette profondeur de la contemplation, se laisser porter par le regard de Dieu, est un acte de foi et d’amour, une réponse à l’appel de la Vérité. « Qui fait la vérité va à la lumière » (Jn 3, 21). C’est exigeant, mais profondément libérateur. Peindre une icône n’a rien de volontaire. C’est un acte d’obéissance où nous nous laissons simplifier par Dieu, ajuster à la douceur et à l’humilité de son cœur : cette conformation au Christ n’est pas seulement personnelle, mais aussi ecclésiale. Par le service liturgique de l’iconographie, nous sommes appelés à devenir membres vivants du corps du Christ. Nous sommes ainsi conduits par la présence du Christ qui se manifeste au plus intime de l’âme, nous consentons à cette étincelle trinitaire, à sa musique céleste qui passe par l’ancrage d’une palette, par des pigments de couleurs, par leurs valeurs : autant de nuances autant de vie en transparence. La technique de la tempera donne aux couleurs de la carnation et des vêtements une intensité métaphysique, une épaisseur ontologique. Mais contrairement aux canons de la Renaissance l’iconographe retire aux corps leur volume, et laisse ainsi apparaître le corps tel qu’il sera dans toute la lumière de la gloire.

Dans l’arche, sur la planche en bois de tilleul, apparaît peu à peu l’auréole, l’icône comme image de la présence réelle, incréée de Dieu (spisok en russe). Les ombres et les lumières s’y déploient en une vibration subtile. C’est une manifestation en clair-obscur, une visitation à pas de colombe. Ici a lieu un admirable échange entre l’homme et Dieu : par l’iconographie, nous nous mettons au service de la liturgie, nous nous faisons des serviteurs de la Jérusalem céleste, des adorateurs « en esprit et en vérité » (Jn 4, 23). Nous devenons ensemble, en église, par la grâce de notre baptême, des fils et des filles dans le Fils qui est la Vérité (Jn 14, 6). Et à notre humble mesure d’apprentis-artisans, nous participons alors à la majesté de Dieu, à sa beauté transcendant le temps et l’espace, les formes et les sens. Dieu nous envoie témoigner de sa Beauté au milieu de nos frères en humanité. Demeurer en Dieu, comme nous y invite Jean, c’est veiller et prier, garder la lampe intérieure allumée, contre vents et marées. C’est un acte de confiance qui engage tout l’être : il maintient le regard de notre cœur attaché à la Sainte Face du Christ, et nous apprend à contempler avec l’œil même de Dieu. Car la beauté divine irradie la bonté, elle la rend désirable. Et Dieu seul est la Beauté absolue.

L’art de l’iconographie rejoint l’oratoire intérieur de notre cœur, et suppose aussi, parallèlement l’étude régulière de la théologie, comme nous le rappelait Giancarlo Pellegrini au cours de l’atelier. Elle nous permet ainsi de situer le culte de l’icône à sa vraie place : ni divinisation de l’art, ni superstition magique, mais culte symbolique et efficace qui s’enracine dans le mystère de l’Incarnation de Dieu. Hans Urs von Balthasar déclare que le Christ « est la beauté de Dieu apparaissant dans l’homme et la beauté de l’homme trouvée en Dieu et en Dieu seul. » Or c’est bien l’incarnation qui est mise en question par l’iconoclasme. Et c’est l’incarnation elle-même qui est défendue par le culte des icônes. L’icône est le reflet du Prototype et chaque icône le reflet des natures divines et humaines unies sans mélange dans la personne du Christ. Ce principe de l’union du divin et de l’humain commande tous les domaines de la vie de l’Eglise : sa doctrine, ses sacrements, ses relations avec le monde, sa liturgie et son art.

L’icône n’est pas une image-idole. Elle a des yeux et nous regarde, elle a des oreilles, et nous écoute (Cf. Ps 135). Elle entend notre cœur battre, elle se relie au murmure secret de nos prières. Plus nous nous laisserons toucher par la beauté de sa lumière, plus nous serons par elle transfigurés, et entrerons ainsi dans cette jeunesse éternelle des aimants-Dieu, configurés à la beauté du Christ-Roi.

« Bien tard je t’ai aimée, ô Beauté si ancienne et si nouvelle.
Bien tard je t’ai aimée !
Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors
Et c’est là que je te cherchais,
Et sur la grâce de ces choses que tu as faites,
Pauvre disgracié, je me ruais !
Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec toi. »

Saint Augustin

Ecoutons le cri d’Augustin en larmes, au livre X de ses Confessions : c’est le nôtre.

La beauté est une porte d’entrée spirituelle que nous ne devrions pas négliger. Ce chemin est aujourd’hui encore une voie missionnaire pour rejoindre nos contemporains et les amener à une vraie rencontre avec Dieu. À travers cette beauté de l’icône, les hommes et les femmes de notre temps peuvent vivre une rencontre avec le Seigneur. La beauté devient ainsi une clé pour la mission : c’est la beauté de l’amour plus fort que la mort. Et la grandeur de cette beauté, sa noblesse, met en lumière le combat spirituel que chacun de nous vit entre la vraie beauté et les beautés factices, entre la réalité de notre beauté humaine et la tentation d’une beauté augmentée, cette tentation d’un homme sans limite, sans pauvreté, sans fragilité, cette tentation d’être parfaits, « comme des dieux » (Gn 3, 5). C’est tout l’enjeu théologique et éthique d’une distinction entre l’icône et l’idole. Ainsi Dimitri Karamazov confie à son frère Aliocha : « La beauté est une chose terrible. Elle est la lutte de Dieu et de Satan, et le champ de bataille, c’est mon cœur. » (F. Dostoïevski, Les frères Karamazov)

Au terme de cet atelier, après la messe, nos icônes ont été bénies par les célébrants. C’était le jour de la dédicace de Notre Dame. La cérémonie était priante, belle et sobre. C’est la grâce de cette liturgie à Saint-Gervais, la grâce de recevoir l’amour de ce chœur de moines offerts à l’Amour de Dieu, de moines qui, chaque jour, dans la fidélité et la confiance, veillent sur Paris, et prient pour les citadins. À ce charisme et à cette belle communion de Jérusalem, nous vous invitons à venir participer. C’est une communion qui enrichit l’écoute fraternelle, et nous rend féconds pour le Royaume. Ces fraternités furent fondées par le père Pierre-Marie Delfieux, un homme de foi et de prière, un semeur d’espérance, un ami intime de Dieu. Aujourd’hui, depuis le ciel, il nous redit cette parole du Christ, notre Maître : « N’ayez pas peur ! » La sainteté est le visage le plus beau de l’Eglise. Elle est l’accomplissement de notre communion mystique au Christ, en tant que nous sommes membres de son corps. « La beauté singulière du Christ, comme modèle de vie vraiment belle, se reflète dans la sainteté d’une vie transformée par la grâce. » (Benoît XVI)

« Obtiens-nous maintenant une nouvelle ardeur de ressuscités pour porter à tous l’Evangile de la vie qui triomphe de la mort. Donne-nous la sainte audace de chercher de nouvelles voies pour que parvienne à tous le don de la beauté qui ne se ternit pas. »

Prière conclusive d’Evangelii Gaudium.

Isabelle Raviolo